• Comme je l'ai relevé dans un précédent billet, l'un des termes les plus flous en théorie JdR est l'immersion.

    Je propose donc une série de définitions afin d'éviter les débats de sourds par manque de vocabulaire commun.

     

    L'immersion a de nombreux sens, notamment appliquée au JdR.

    J'en ai dégagé 3, qu'il est nécessaire de différencier.

    Mais je n'expliquerai ici ni les intérêts d'obtenir ces différentes notions, ni les moyens pour ce faire. 

     

    L'attention

    La première notion est la concentration dans la partie, le fait d'y prêter toute son attention, de s'y impliquer, de ne penser qu'à elle. Cela peut, éventuellement, amener dans l'état de "flow", où tout le reste est occulté.

    Cette attention peut être générée par des éléments extérieurs, sans la démarche active du joueur. Par exemple en jouant dans le noir, avec des musiques d'ambiance, en ajoutant des contraintes...

    Faire des blagues alors que le ton ne s'y prête pas, discuter du dernier film vu, aller préparer des pizzas, entendre des annonces au micro, tout ça sort le joueur de l'attention.

    Sachant qu'on peut évidemment appliquer cette notion à d'autres activités, comme le jeu de plateau, l'écriture, le sport, la résolution d'un problème...

     

    La synchresthésie

    J'ai décidé de retenir ce néologisme parmi les divers noms proposés, car son étymologie porte tout le sens (Ressentir en même temps).

    Il s'agit donc du moment où le joueur ressent une émotion en même temps que son personnage.

    L'émotion n'a pas à être nécessairement la même (par exemple peur de mourir du personnage, excitation sur un jet décisif pour le joueur).

    Mais si l'émotion est similaire, alors on parle de bleed, avec la distinction bleed out si l'émotion du personnage est transférée au joueur (ex : colère d'être trahi), et bleed in dans le cas inverse (ex : joueur amoureux dont le perso va manifester une attirance vers le perso de l'aimé).

     

    L'immersion

    Pour cette dernière notion, si un terme devrait être retenu ce serait eläytyminen, issu de la théorie scandinave (voir le Manifeste de Turku). Cependant, je doute que la communauté suive, et les traductions existantes ne l'ont pas conservé. C'est pourquoi je propose de maintenir Immersion pour ce cas.

    Par immersion, on entend l'angle par lequel le joueur aborde et crée la fiction.

    Par exemple, si un joueur fait réagir son personnage en prenant en compte son historique, ses buts, sa nature et son attitude, alors il est immergé dans le personnage. C'est la plus connu des 3 immersions (Personnage, Univers, Narration) qui ne sont pas exclusives. On peut avoir un joueur immergé dans le Personnage, dans l'Univers mais pas dans la Narration (P+U+N- : Fundament player). Tout ceci est parfaitement expliqué dans l'article fondateur : le modèle des immersion multiples.

    Ce que certains appellent plaider pour son personnage correspond en fait, de façon plus précise, à une immersion dans le personnage.

    Donc l'immersion est un choix du joueur. Le terme est à mettre en parallèle avec l'immersion dans un liquide, où le baigneur décide s'il s'immerge dans la piscine.

     

    Notions cumulables

    Bien entendu, ces 3 notions ne forment pas une partition.

    On peut tout à fait être dans l'attention complète d'une partie dans laquelle on est immergée dans la narration et dans l'univers et ressentir une synchresthésie. Par exemple en étant ému lorsqu'on décrit la scène finale d'une partie de SmallVille où son personnage exhume le cercueil de sa meilleure amie afin de vérifier si elle est devenue une vampire.

     

    Pensez-vous que d'autres aspects de l'immersion méritent une définition distincte ?

    Celles-ci vous conviennent-elles ?

    J'espère ensuite qu'on pourra entendre des phrases comme ce scenario préconise l'immersion narrative sans avoir à se demander de quelle notion il est question.

     


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  • Critique du jeu Boule de Neige, suite à une partie de test.

    Boule de neige est un jeu à autorité partagée avec MJ.

    Le but est de raconter une histoire, en jouant des scène dans l'ordre antéchronologique (comme dans Irréversible).

    Je n'ai pas lu les règles, juste joué, avec un MJ qui je pense les respectait bien.

    Présentation

    Le canon de l'univers est décidé en commun, puis le jeu débute.

    Le MJ invente une accroche pour chaque scène, et c'est parti pour la narration dont le but est d'amener le scénario au point où a débuté la précédente scène (ou vers une fin intéressante dans le cas de la première scène jouée).

    Les persos sont créés au début de la première scène, et traduits en terme de règles par des traits (un au début).

    Chaque joueur est libre de prendre l'autorité quand il le souhaite, du moment que son perso est impliqué. Il doit normalement mettre en place un enjeu dont la résolution implique l'un de ses traits. S'il n'en a pas qui correspond, il peut tenter d'en acquérir un (il y a d'autres moyen d'en recevoir, mais je ne vais pas rentrer dans les détails).

    Après le description de l'enjeu, le joueur doit présenter succinctement le succès en cas de réussite, et la catastrophe (scénaristique) en cas d’échec, qui sera déterminée par un jet de dés.

    Je précise car ça peut paraître contre-intuitif : le but est de recoller au scenar.

    Un succès doit décrire une scène cool (du point de vu des spectateurs), qui rapproche l'histoire du point suivant.

    Un échec doit décrire une scène cool également, qui éloigne l'histoire de la trame à suivre.

    Ainsi, une tentative d'un perso peut être réussie en cas d'échec et ratée en cas de succès.

    Puis, lancer de dés. S'il y a au moins un 1 alors c'est un succès. S'il y a au moins un 6 alors c'est un échec. Sinon, c'est le MJ qui reprend la narration, en expliquant la résolution de l'enjeu. (Je ne sais pas s'il lui est interdit de choisir le succès ou la catastrophe présentée par le joueur, notre MJ ayant toujours imaginé des résolutions mitigées).

    Le MJ peut aussi imposer un jet quand il voit que la description d'un joueur correspond à un enjeu.

    En dehors de ça, le MJ peut également prendre l'autorité quand il le souhaite, notamment en cas de temps mort.

    Critique

    C'est un jeu à autorité partagée, et comme dans presque tous les jeux de ce type, les joueurs vont se concentrer sur l'histoire et non sur l’interprétation des persos. On s'éloigne du jeu de rôle pour être plutôt dans un jeu à rôle, ou autres jeux de société de type Il était une fois. Je trouve ça dommage, mais bon, tant qu'il y en a qui aiment, ce n'est pas un point négatif propre à ce jeu.

     

    Autre effet très connu des jeux à autorité partagée : le manque de cohérence.

    Ailleurs, on peut se dire qu'on s'en fout, que ce sont des détails, et que tant que c'est drôle ça passe. Mais ici il s'agit du but du jeu : raccrocher aux wagons. L'incohérence de l'histoire pose vraiment problème, et il y a des moments de brainstorming (hors jeu) pour chercher des explications.

    À la fin de la partie, on a du passer ¼ d'h à tenter de recoller les morceaux, après la fin du jeu. Je ne sais pas si c'est normal de l'avoir fait à ce moment là, si c'est par manque de temps…

     

    Un autre point sur la prise d'autorité : il me semble qu'il n'y avait aucune règle (ou convention) pour gérer les contradictions entre joueurs. Moi j'ai pris le parti d'utiliser les règles d'impro (ex : ne jamais nier une déclaration d'un autre joueur), mais ça n'a pas toujours été fait ailleurs. Outre le problème (égoïste) de voir sa super idée balayée, ça pose un soucis aux autres participants : quelle description est la bonne ?

    Je n'ai pas eu le problème avec les autres jeux à autorité partagée que j'ai testés, donc je ne sais pas si ça venait du jeu, ou des joueurs de cette partie de test.

     

    Dernier point de détail sur l'autorité. Lorsqu'on joue la première scène (qui est la dernière du film), il n'y a pas de règles pour déterminer quand le film s'arrête. La seule condition est que tous les persos aient été impliqués. Mais une fois cette condition établie, rien n'empêche un joueur de décrire une scène finale trop classe, mais que le film continue car un autre joueur veut l'emmener dans une autre direction. Pour info, ce problème est parfaitement géré dans l'Agence, durant la phase de prologue.

     

    Ensuite, une critique très personnelle, que je pourrais appliquer à la plupart des jeux à autorité partagée dont le but est de raconter une fiction que j'ai testés, mais les amateurs de ce style de jeux pourront me contredire. À chaque fois, on est parti dans la direction d'une fiction de film ou de série, avec tous les codes qui vont avec, puis tous les clichés et les caricatures. Bon ça ne me dérange pas vraiment (car c'est marrant, et si le but est de s'amuser, c'est probant), mais c'est peut-être dommage pour d'autres joueurs. D'un autre côté, peut-être que justement ces autres joueurs auront plus de maturité et pourront canaliser la fiction vers le canon souhaité.

     

    Pour finir, j'ai une remarque un peu floue : je pense que les scènes étaient trop longues. On en a joué 3 (faute de temps). Si elles étaient longues c'est qu'à la fois on tentait de raccrocher au scenar (c'est le but premier), mais qu'on essayait également d'enrichir la fiction. Bref, beaucoup de choses à faire, et peu de latitude pour travailler sur la cohérence (à chaque fois c'était remis à la prochaine scène). Peut-être qu'avec plus de scènes plus courtes l'intrigue globale aurait pu plus s'installer. Bon, c'est vraiment un ressenti vague…

    Le système

    Parlons ensuite des règles, qui (vous connaissez ma position) ne servent à rien ici aussi.

     

    Au niveau des jets de dés :

    On ne va pas faire de calcul mathématiques complexes. Dans la majorité des cas, le joueur lance 3 dés. Il y a alors environ 30% de chances que ce soit le MJ qui reprenne la fiction, 42% de chances que ce soit un succès et 28% un échec qui éloigne de la trame.

    Sauf qu'une règle que je n'ai pas encore explicitée permet au MJ d'offrir des dés supplémentaires au joueur pour ce lancer, ce qui mathématiquement augmente les chances de succès.

    Au final, soit le MJ récupérera la fiction une fois sur trois, soit il pourra intervenir pour favoriser le succès s'il aime bien cette direction, soit il cherchera à privilégier l'échec en n'offrant aucun dé.

    En conclusion, il serait presque aussi simple, et bien plus rapide, que ce soit le MJ qui choisisse directement l'issue, plutôt que de se cacher derrière un semblant d'aléa.

     

    Dernier point sur les règles : il s'agit d'un jeu à traits, et chaque jet de dé doit être associé à un trait.

    On arrive donc au syndrome dit de la "logistique" (provenant d'un joueur qui dans un jeu à trait pliait toutes les situations pour utiliser son trait "logistique") : beaucoup de jets sont justifiés en tentant de raccrocher à son trait de façon artificielle (et souvent ridicule (mais donc drôle)).

    Ça pourrait être évité en supprimant directement les traits…

     

    Et ma dernière critique : l'adversité.

    Il y a deux adversités dans ce jeu. Celle opposée aux personnages (par des PNJs, éléments de décors…) et celle des joueurs : la cohérence du scenar. Et le jeu est fait pour que ce soit cette dernière qui soit le principal enjeu (ce qui confirme mon troll sur le "jeux à rôle").

    En effet, dans le premier cas, c'est souvent au joueur de décrire l'adversité de son personnage, et il a tous les moyens de la surmonter. C'est chiant (c'est le principe de Czege).

    Dans le deuxième cas, les dés (ou plutôt les « favorisations » du MJ) vont éloigner le scenar de son but, et ça va être aux joueurs de se battre pour récupérer l'affaire.

    Le soucis, c'est que les joueurs vont vite omettre de placer de l'adversité à leur perso, car soit c'est inutile, soit c'est dommageable pour le scenar si le MJ décrète que cela correspond à un enjeu.

    Au final, certaines scènes sont donc un peu fades. Mais je pense que pour s'en sortir, il suffit au MJ de reprendre l'autorité quelques secondes, le temps d'y mettre son adversité.

     

    Conclusion

    Bref : un jeu de société fort sympathique pour passer une bonne soirée, si les participants s'entendent bien et sont sur la même longueur d'onde.

    Mais en tant que jeu de rôle, ça coince.


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