• Attention, je n'ai pas lu le livre de base de Dogs in the Vineyard.
    Ma critique se basera donc sur les parties jouées, et sur les retours d'autres rôlistes.
    Par exemple, je n'aborderai pas la création de villages qui est je pense assez intéressante.
    Et, comme c'est l'esprit de ce blog, je ne vais pas prendre de pincettes…

    Dans cet article, je vais d'abord détailler pourquoi selon moi Dogs in the Vineyard échoue à transmettre le propos présenté.
    Puis je vais lister une série de corrections et améliorations à apporter, en les illustrant dans un scenario que j'ai fait jouer.

    Pour ceux qui n'ont pas le temps de lire en entier, Dogs in the Vineyard est desservi par son système de jeu, et on obtient un meilleur résultat en le supprimant.

    Dogs in the Vineyard avec système de jeu

    Rapide présentation

    Le propos est de jouer de jeunes fanatiques religieux qui rendent la justice au far-west, en étant soumis à des dilemmes moraux.

    L'univers peut se rapprocher de celui des mormons, les habitants des villages étant fortement religieux et conservateurs. Les PJs sont des dogs, des jeunes gens qui ont été éduqués dans la religion afin d'appliquer la loi divine durant leurs quelques années de service. Ils sont appelés par les villages lors de problèmes surnaturels ou lors de décisions difficiles à prendre.
    Au sujet de ce surnaturel, sa présence réelle ou fantasmée est un curseur laissé au bon vouloir du MJ.

    Le système de joueurs est classique, avec deux exceptions notables, où le MJ n'a plus l'autorité : tout d'abord les PJs ont le loisir de se créer des relations avec les PNJs rencontrés (avant le scenar ou pendant), et ensuite ce sont les joueurs qui ont l'autorité sur le contenu du Livre, qui renferme le texte (et donc les règles morales) de la religion.

    Le système de jeu définit les personnages par 4 caracs, des traits, des relations (pondérées) et des possessions (également pondérées).

    Le SRA est une base d’aléa : il faut lancer un certain nombre de dés de taille variable (en fonction des attributs des personnages), puis les regrouper afin de faire des mises et de contrer les mises de l'adversaire. Lorsque le défi semble perdu, il est possible d'escalader un nombre fini de fois pour avoir des dés supplémentaires.

    Un dernier point : le propos de ce jeu n'est pas de faire de l'enquête, mais d'arriver directement aux décisions à prendre. Ainsi, le MJ est encouragé à divulguer rapidement les informations afin que les PJs aient tous les éléments pour trancher.

    Pourquoi le système de jeu plombe Dogs in the Vineyard

    Allons-y directement : le système est plus qu'inutile, il va contre le propos du jeu.

    Premièrement, il est très lourd. En exagérant à peine, c'est comme si au moment le plus intense de la fiction le MJ disait « hop, c'est un conflit, allons faire une partie de poker qui n'a rien à voir pour décider de la suite. »
    En effet, chaque conflit se résout en passant un temps fou à lancer des dés, à calculer, à les regrouper, à faire des étapes interminables pour au final aboutir à un résultat aléatoire.

    Les défauts sont nombreux :
    Cette mécanique sort de la fiction. Cette longue pause forcée est donc nuisible aux 3 immersions.
    Durant tout le temps de cette partie de dés dans la partie de JdR, on manipule les caractéristiques des persos (« tiens, je vais utiliser mon gros livre, ça me donne des bonus ») en ne cherchant plus vraiment à se raccrocher à la fiction, tant son impact est limité. Par exemple, dans le cas (commun) d'une discussion, que l'argumentaire soit décisif ou stupide ne va pas modifier le résultat des dés. Aussi les joueurs ne sont pas incités à impliquer leur perso.
    Par ailleurs, quand j'affirmais (sans développer) que le SRA aléa nuit à l'immersion, on en a une illustration ici. Lorsqu'on constate que le perso et ses décisions n'ont aucune influence sur l'issue, régie uniquement par la chance aux dés excepté les choix arbitraires de s'ajouter des dés (objets/relations/escalade), on se détache à la fois du conflit et de la fiction.
    Bref à la fin de la résolution d'un conflit on a juste envie de dire « la prochaine fois, on fait juste un pile ou face : on gagnera du temps et ça sera aussi intéressant ».

    Cette constatation assez générique et applicable à d'autres jeux est ici plutôt dramatique : en effet Dogs in the Vineyard est censé provoquer des conflits moraux, ce qui implique des choix. Donc lorsque les choix sont faits par les dés c'est fini…
    Pas d'implication et pas d'impact : le cocktail pour passer à côté du propos.

    Pourquoi des choix de design nuisent au propos

    Deux points viennent s'ajouter à la mauvaise conception du jeu, et sont à l'encontre du propos : le fait que les persos doivent rapidement avoir toutes les infos, et celui qui les définit comme des fanatiques religieux.
    En effet, et sans rentrer dans une explication qui sort du cadre de cet article, j'affirme que pour établir un terreau propice aux dilemmes moraux, il faut que les persos soient soumis à de multiples échelles de moralité.
    Ici, les persos sont des fanatiques, donc par définition protégés des dilemmes moraux. S'il y a une décision à prendre, il suffit de lire le Livre. À une situation claire, correspond une réponse claire.
    Vous voyez facilement en quoi les deux points identifiés vont à l'encontre du but du jeu. Je détaillerais plus comment contourner ça dans la seconde partie.

    Dogs in the vineyard sans système de jeu

    Suite aux constatations détaillée dans la première partie de cet article, j'ai décidé d'illustrer le fait que le système de jeu n'est pas important en proposant une partie de Dogs in the Vineyard sans son système de jeu. J'ai gardé son système de joueur, son univers et j'ai cherché à défendre son propos.
    J'ai écris un scenario (disponible pour ceux qui sont intéressés) que j'ai fait jouer. De l'avis des joueurs, et du mien, cela s'est bien passé et le contrat a été rempli.
    Si vous comptez jouer le scenar en tant que PJ, je vous conseille de ne pas lire la suite. En effet, je vais illustrer les modifications à apporter au jeu par des exemples de mon scenario.

    Le système de jeu n'est pas important

    Le premier gros bloc à jeter était le système de jeu, et surtout tout ce qui concernait la résolution des conflits.
    Donc en cas de discussion, c'est le choix des arguments et leur poids qui influe le résultat. Si un PNJ refuse de céder car ses convictions (ou ses contraintes) sont trop fortes, ce n'est pas un échec critique qui va lui faire dire « en fait c'est pas grave ! »

    Par ailleurs, les persos sont là pour rendre la justice. S'ils sortent leur flingue pour tirer, ils touchent. Peu importe donc de savoir s'ils savent bien viser ou si leur revolver brille, ce qui compte sont les situations qui les mènent à des choix moraux. Bref, plus besoin de leur feuille de perso non plus.
    Ça y est, on a supprimé tout le système de jeu, et on respire !

    Corrections de design

    Je vais rentrer un peu dans le détail de ce que j'énonçais dans la première partie.
    Le but, afin d'avoir des dilemmes moraux, est de s'affranchir de l'unique échelle de moralité. Cependant je voulais conserver le propos du jeu au sujet de jeunes fanatiques, donc impossible d'en ajouter de supplémentaire.
    J'ai dû donc jouer sur les 2 points identifiés.

    Premièrement, je n'ai pas donné toutes les informations tout de suite. Le but étant que si l'échelle reste fixe, les mesures varient au cours du temps.
    Par exemple, si les PJ découvrent que PNJ1 est coupable de C à cause de R, ils vont appliquer le livre et vouloir décréter la sanction S. Mais s'ils découvrent après que PNJ1 n'est plus coupable, ou coupable de "plus grave", dispose de circonstances atténuantes ou aggravantes, ou qu'il implique un autre PNJ, les dogs vont-ils conserver la sanction S ou se remettre en question ?

    Mais surtout, la technique la plus puissante est la destruction de l'échelle.
    En effet, quoi de plus déstabilisant pour un fanatique que de constater que ce en quoi il a toujours cru est faux ? Le PJ se retrouve alors sans filet, abasourdi et désemparé car il ne dispose plus de sa rassurante échelle pour le guider : il doit faire un choix, seul.
    Pour cela, différentes méthodes. On peut utiliser l’exégèse du Livre pour appliquer une autre doctrine (c'est ce que j'ai utilisé dans mon scenar), on peut mettre en scène les précepteurs des persos qui reviennent (volontairement ou non) sur leurs enseignements, on peut faire intervenir des proches qui tentent de les convaincre de changer d'avis, on peut les confronter à l'inconnu (notamment des situations non couvertes par le Livre)…

    Un dernier point prometteur que je n'ai pas pu vraiment creuser (mais que je ferais lors de la prochaine séance) : lors de la création de son perso, un de mes joueur lui a rajouté un pêché. Cela a eu un impact majeur lors des tiraillements engendrés par ses dilemmes moraux. Et effet, c'est une autre façon de déséquilibrer l'échelle. Aussi je me demande si ce n'est pas quelque chose que je vais largement inciter. À noter que doter un dog d'humanité (en opposition au fanatisme) peut rentrer dans cette catégorie.


    En conclusion Dogs in the Vineyard est un jeu qui a du potentiel, mais qui en l'état dysfonctionne. En y jouant by the book, non seulement on s'éloigne du propos, mais en plus on sera frustré du temps perdu en lancers de dés.
    Par contre, en s'affranchissant du système de jeu et en utilisant quelques techniques adaptées, on peut réussir à obtenir une bonne séance immersive pleine de choix moraux, où les PJs, les PNJs et leurs relations ne sont plus de froides données chiffrées mais de riches enjeux fictionnels.


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