• The Climb est un jeu de Jason Morningstar. Il s'agit d'un GN d'une durée d'environ 1h30, 2h, pour 6 joueurs. Il s'inscrit dans le mouvement Jeep Form, et plus particulièrement l'American Free Form.
    Pour résumer le pitch, les personnages font partie d'une ascension qui pour des raisons météorologiques impose de déterminer qui seront les 3 alpinistes qui atteindront le sommet.
    J'ai pu y jouer grâce à Steve J (de Radio Rôliste) qui l'avait apporté lors d'un WE rôliste.
    Ce fut un échec, et je vais détailler pourquoi. Mais certains éléments sont très intéressants et méritent d'être étudiés et réutilisés.
    Cette critique va fatalement dévoiler certains pans du jeu, aussi il est déconseillé de la lire si vous voulez le jouer pour la première fois.

    Mauvaise direction

    Le premier soucis n'est pas lié au jeu, mais aux joueurs. Plus précisément, nous n'avons pas joué comme il le fallait, car nous n'en avions pas reçu l'instruction.
    Je ne sais pas si le jeu comporte un propos à livrer aux joueurs, et que Steve J (qui était occupé avec une autre partie de JdR) aurait omis de nous fournir. Mais a posteriori, voici l'analyse qu'il en résulte :
    Durant le jeu, les joueurs doivent avoir une immersion P-N+U+ ou P-N+U-. C'est à dire que les joueurs doivent chercher à créer de la fiction, et à rebondir sur les créations des autres joueurs. Il ne faut surtout pas être immergé dans le personnage car celui-ci ne doit pas mentir (sauf si cela est visible). L'immersion univers est discutable : il faut certes rester cohérent avec les bases (ascension, météo) et le canon esthétique (l'alpinisme, et les obstacles classiques, du manque d'oxygène au froid), mais les joueurs sont libres d'apporter des éléments supplémentaires si cela enrichit la fiction.
    Illustration : le background des personnages est très pauvre. Une fonction dans l'équipe d'ascension, la raison de vouloir être au sommet, et une ligne de relation avec les autres personnages, du genre "vous avez l'habitude de travailler avec un tel, il fait du bon boulot".
    Les secrets (du style "vous avez couché avec la femme d'un tel") sont minimalistes, et voués à être découverts pour en faire des moteurs de narration.
    Tout le reste doit être tissés à partir des éléments apportés par les joueurs.
    Or, nous, joueurs, n'avions pas été informé de ces directives. Même si en tant que rôlistes sur tables nous étions nombreux à connaître, pratiquer (ou même écrire) des jeux à autorité partagée, et donc à expérimenter les immersions P-N+U+ ou P-N+U-, dans ce GN, faute d'instructions, nous nous sommes immergé dans le personnage comme dans toutes les murders ou GN que nous avions pratiqués par le passé. Le fait que le jeu ait l'étiquette American FreeForm n'était pas suffisant, car il aurait pu s'agir d'innovations scénographiques, de règles particulières supportant l'ambition du jeu, ou d'un scenario particulièrement touchant.

    Exemple concret de dysfonctionnement : reprenons le background du personnage A qui contient "vous avez l'habitude de travailler avec personnage B, il fait du bon boulot". Lorsque personnage C est venu demander à personnage A ce qu'il pensait de B, celui-ci a répondu en substance qu'il n'avait pas à s'en plaindre, et qu'il le prendrait volontairement au sommet avec lui.
    Alors que la bonne approche aurait été d'abord de déterminer ce qui était intéressant pour la fiction : est-ce que B doit avoir des arguments pour monter, ou au contraire des raisons de l'en empêcher. Le raisonnement est bien à faire en étant immergé narration et non-immergé personnage. C'est à dire, est-ce qu'un narrateur externe jugerait pertinent de donner un argument positif, par exemple pour le mettre en concurrence avec un autre personnage, ou même pour qu'il fasse la quasi-unanimité afin que l'attention se porte sur les autres candidats, ou sur ceux qui le dénigrent. Le but n'est pas de donner l'avis de personnage A sur personnage B, mais d'ajouter des éléments, inventés, sur lesquels les autres joueurs (et non perso) rebondiront.
    La suite de cette bonne approche est justement d'improviser les réponses. Par exemple si l'on veut favoriser personnage B, la réponse de A aurait pu être "j'ai complètement confiance en B, il m'a sauvé deux fois la vie lors de l'ascension de l'Everest" ou "il a l'habitude de sacrifier ses portions d'oxygène pour ses camarades". Si l'on veut le défavoriser : "J'ai confiance en B, il est fiable tant qu'un médecin (rôle d'un des joueurs) est présent dans l'équipe. Dans le cas contraire il risque de refuser de monter", ou "J'ai confiance en B, il est fiable dans son rôle. Certes il y a ces rumeurs de détournement de bouteilles d'oxygène, mais je ferme les yeux devant la qualité de ses services".
    Et enfin, la dernière étape est d'accepter ces nouveaux éléments et de rebondir dessus, comme dans le théâtre d'impro. Si l'on confronte B avec "Alors, il parait que tu voles des bouteilles d'oxygène", il ne faut pas que le personnage nie, comme un joueur pourrait le décider dans une murder "classique" où l'immersion Personnage est requise. Ici, le personnage, après peut-être une défense minime, doit reconnaître les faits, et le joueur va ensuite chercher à broder dessus. Par exemple en inventant une justification ("J'ai besoin d'argent pour ma fille, depuis la mort de sa mère"), un compromis source de rebondissements futurs ("Si vous voulez, je m'engage à monter sans oxygène"), ou une diversion ("Je ne récupère que des bouteilles inutilisées, après la descente. C'est quand même moins grave que personnage D qui n'accroche qu'un mousqueton sur deux, mettant l'autre dans sa poche !")

    La temporalité du jeu est décomposée en une première partie d'environ 45 minutes, où il s'agit officiellement de déterminer la sous-équipe qui montera, mais surtout de créer de l'histoire, du drame, des tensions entre les personnages, afin d'alimenter la deuxième partie du jeu.

    Dans notre séance, à la fin de la première partie, les matériaux étaient vraiment pauvres et éparses, comme expliqué précédemment. Aussi lors de la deuxième partie, au moment où nous réalisions notre fourvoiement, il était trop tard, et celle-ci fut plutôt fade.

    Fausse bonne idée

    Avant d'expliquer la deuxième erreur, propre au jeu, il est nécessaire de détailler l'une de ses innovations fortes.
    Le jeu se joue avec 3 tentes, où peuvent se tenir 2 personnes, de façon inconfortable mais acceptable, ou 3 dans des conditions trop limites pour durer plus que quelques minutes. Les règles sont formelles, impossible de tenir à 4 malgré les sacrifices que les joueurs consentiraient à faire.
    De plus, la partie se joue avec une bande son qui reproduit le sifflement du vent et de la neige. Elle est optionnelle, et plus que de mettre dans l'ambiance, elle a un rôle important dans les discussions, empêchant les communications de tente à tente.
    Le but est de forcer les joueurs à se retrouver dans un espace exigu et confiné avec un autre joueur, et d'avoir des conversations privées. Sous une tente, impossible d'impressionner son interlocuteur par des effets de manche littéraux. Impossible de prendre à parti un autre personnage. Impossible également de se soustraire de l'interrogatoire : où iriez-vous si toutes les autres tentes sont pleines ?
    C'est l'élément clé à retenir de ce jeu, et à réutiliser. On peut facilement voir déjà les applications à d'autres murders, notamment celles où les personnages doivent intriguer, ainsi que des idées de mise en pratique (confessionnaux pour des moines qui ailleurs doivent faire vœux de silence, capsules de survie 2 places entre lesquelles des spationautes volent durant une panne radio...)

    Cependant, pour The Climb, on a une grave erreur de design.
    Comme on l'a vu plus haut, le jeu doit reposer sur une immersion Narration, et une non-immersion Personnage. On est dans le code du théâtre d'impro. Les joueurs apportent des éléments générateurs de fiction et les autres rebondissent dessus. Si ça marche bien en impro, c'est notamment à cause d'un principe très simple : tous les participants sont au courant. Si un improvisateur se mime avec un bâton dans les mains et affirme "ça mord pas trop aujourd'hui", tout le monde sait, et accepte, qu'il pèche. Un autre personnage ne peut lui demander "Alors, vous avez attrapé beaucoup de papillons ?" en l'imaginant avec un filet au bout des mains. Bon, d'accord, ça arrive souvent, car justement l'improvisateur a mal compris, et cela peut donner des rattrapages hilarants, mais dans le jeu The Climb, la cohérence est nécessaire.
    Or le principe d'avoir des conversations privées, entre 2 ou 3 joueurs, empêche cette diffusion.
    Outre le fait de réduire le nombre d'éléments connus sur lesquels rebondir (et donc de nuire au déroulement souhaité du jeu), on peut même théoriquement aboutir à des incohérences inquiétantes. Que se passe-t-il si, dans une tente, A affirme "B m'a sauvé la vie à 2 reprises, notamment lors de notre dernière ascension" et que dans une autre, B avoue "Je déteste A. Si j'avais sa vie dans ma main, je le laisserai mourir" ?
    Une solution, qui peut paraître étrange à ceux qui ne sont pas habitués au Jeep Form, serait de ne jouer qu'une seule tente à la fois, avec les 3 ou 4 autres joueurs aux personnages absents en tant qu'observateurs. Mais c'est sûr que l'ambiance ressentie lorsque l'on va d'une tente à l'autre à 4 pattes avec le blizzard dans les oreilles en prendrait un coup.

    Retour au camp de base

    Je suis réellement heureux d'avoir joué cette partie, et découvert ce jeu iconique (encore merci à Steve J !).
    Même si j'ai été très déçu (et les autres participants encore plus que moi), j'en ai retiré certaines choses :
    Les raisons de l'échec de la partie sont assez claires, suite à l'analyse collective que nous en avons faite. Cela peut paraître pompeux, mais il est toujours satisfaisant d'utiliser des outils théoriques pour diagnostiquer un problème.
    Nous savons maintenant comment présenter ce jeu et diriger les joueurs, même si des grippages propres au jeu subsisteront toujours.
    L'idée des tentes est très intéressante et doit servir d'inspiration.


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